«Quoiqu’il ait fait, c’est un homme qu’on juge…»
Pour le trente-quatrième et dernier jour du procès des Fourniret
devant les assises des Ardennes, le bâtonnier Blocquaux, avocat commis d’office
et récusé par l’accusé, a parlé de l’impossible défense d’un homme qui se dit
lui-même «indéfendable»: «Pendant tous ces jours, nous n’avons pas été du côté
de M. Fourniret mais à côté, deux mois épouvantables, passifs,
impuissants, réduits à ne rien dire, nous n’en pouvons plus. Mais ce sentiment
tragique d’inutilité n’est rien à côté du drame des familles et de l’horreur
terrifiante de cette succession de crimes. Nous nous souviendrons tous de ce
mois d’avril - un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept» , énumère-t-il.
Fine allusion. Comme deux mois d’audience, «ça laisse
des traces» , l’avocat a demandé à Fourniret si «sans le défendre et sans le
trahir» , il pouvait parler. Fourniret l’y a autorisé. «Vous pouvez dire ce que
bon vous semble pour servir ce que votre conscience vous dicte.» Alors, Me
Blocquaux veut juste dire que «quoi qu’il ait fait, c’est un homme qu’on juge»
: «Michel Fourniret appartient à notre humanité, hélas […]. J’ai
été sensible à la robe noire qui a dit : "Si ces crimes avaient été
commis par des monstres, nous n’aurions rien à faire ici."» Une fine
allusion au substitut Xavier Lenoir qui, dans son coréquisitoire, jeudi
dernier, a ainsi rétabli les excès de son supérieur Francis Nachbar lancé sur
les «monstres» Fourniret qui «n’ont que l’apparence des êtres humains», «le
diable à deux faces», «la sorcière sournoise» ou «la grosse araignée
gluante».
Critiqué par les médias, les avocats et peut-être par la
chancellerie pour ses mots crus et insultants empruntés à un vulgaire bestiaire
ou à l’imagerie des contes cruels, le procureur de la République de
Charleville-Mézières Francis Nachbar, qui porte le dossier Fourniret depuis
cinq ans, a tenu à s’expliquer, hier, à l’issue de l’audience, lors d’une
conférence de presse. Du jamais vu (ou presque) dans un procès d’assises.
L’avocat général a persisté et signé : «J’ai développé des réquisitions orales
en conscience et avec conviction, j’ai dit ce que je pense.» Il a justifié «les
deux ou trois gros mots» comme des «citations des accusés telles que
"fêlés"» ou «des mots prononcés pendant les débats». Sur
l’appartenance invoquée des Fourniret à l’espèce des monstres, l’avocat général
a essayé de nuancer : «Si c’étaient des monstres au sens psychiatrique, ni vous
ni moi ni personne ne serions là. Ne focalisons pas trop sur ce terme. Mais
pour moi, ceux qui commettent ces actes monstrueux sont au sens commun des
monstres.»
Au même instant, vers 15 heures, la cour partait
délibérer. Le président Gilles Latapie, ses deux assesseurs et le jury
populaire composé de cinq femmes et quatre hommes, dont le tiers d’agriculteurs
des Ardennes, se sont retirés dans la caserne de CRS de Charleville-Mézières
pour délibérer, y passer la nuit, et rendre leur verdict cet après-midi. Ils
doivent répondre à 75 questions auxquelles le président a ajouté deux
subsidiaires. La première sur l’implication de Monique Olivier dans le meurtre
de Jeanne-Marie Desramault en 1989 : coauteur ou complice ? Quant à Michel
Fourniret, il s’agit de savoir s’il est coupable du viol de Mananya Thumpong ou
d’une tentative de pénétration.
«Ruines». Au cœur de sa parole en défense, Me Blocquaux
a déploré «les occasions tragiquement manquées» par la justice «de stopper ce
tandem» de criminels, les dossiers classés sans suite, les condamnations non
exécutées, erreurs judiciaires, «dommages collatéraux» et victimes oubliées : «Ça
pèse des tonnes sur ce champ de ruines qu’est la vie de M. Fourniret, ces
décombres.» Il n’y a pas d’enjeu sur la peine : «Michel Fourniret sait qu’il
terminera son existence en prison, et c’est normal.» Le bâtonnier annonce que
Michel Fourniret «acceptera sa peine» maximale de réclusion à perpétuité
incompressible : «Il n’a pas le choix me direz-vous. Mais le seul petit signe
de sa part, c’est l’acceptation de sa peine. Il ne fera pas appel de la
décision rendue. Qu’offrir d’autres aux familles des victimes que le silence ?
Pas le froid silence du cimetière, pas le silence glacé de la mort de ces
enfants, pas le silence impuissant de celui qui n’a plus rien à dire. Que ce
soit le silence de la compassion et du recueillement nourri du souvenir et de
la mémoire d’Isabelle Laville, de Fabienne Leroy, de Jeanne-Marie Desramault,
d’Elisabeth Brichet, Natacha Danais, Céline Saison et Mananya Thumpong
auxquelles j’ajoute Farida Hammiche et Marie-Hélène qui s’appelait Fourniret»,
sa fille qui a mis fin à ses jours en 2006, sa «dernière victime».
Et Me Blocquaux termine avec les Fleurs du mal de Baudelaire à l’adresse de l’accusé : «Sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille. Tu réclamais le soir. Il descend, le voici.»
Source :
PATRICIA TOURANCHEAU pour Liberation.fr