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28 mai 2008

«Quoiqu’il ait fait, c’est un homme qu’on juge…»

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Pour le trente-quatrième et dernier jour du procès des Fourniret devant les assises des Ardennes, le bâtonnier Blocquaux, avocat commis d’office et récusé par l’accusé, a parlé de l’impossible défense d’un homme qui se dit lui-même «indéfendable»: «Pendant tous ces jours, nous n’avons pas été du côté de M. Fourniret mais à côté, deux mois épouvantables, passifs, impuissants, réduits à ne rien dire, nous n’en pouvons plus. Mais ce sentiment tragique d’inutilité n’est rien à côté du drame des familles et de l’horreur terrifiante de cette succession de crimes. Nous nous souviendrons tous de ce mois d’avril - un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept» , énumère-t-il.

 

Fine allusion. Comme deux mois d’audience, «ça laisse des traces» , l’avocat a demandé à Fourniret si «sans le défendre et sans le trahir» , il pouvait parler. Fourniret l’y a autorisé. «Vous pouvez dire ce que bon vous semble pour servir ce que votre conscience vous dicte.» Alors, Me Blocquaux veut juste dire que «quoi qu’il ait fait, c’est un homme qu’on juge» : «Michel Fourniret appartient à notre humanité, hélas […]. J’ai été sensible à la robe noire qui a dit : "Si ces crimes avaient été commis par des monstres, nous n’aurions rien à faire ici."» Une fine allusion au substitut Xavier Lenoir qui, dans son coréquisitoire, jeudi dernier, a ainsi rétabli les excès de son supérieur Francis Nachbar lancé sur les «monstres» Fourniret qui «n’ont que l’apparence des êtres humains», «le diable à deux faces», «la sorcière sournoise» ou «la grosse araignée gluante».

 

Critiqué par les médias, les avocats et peut-être par la chancellerie pour ses mots crus et insultants empruntés à un vulgaire bestiaire ou à l’imagerie des contes cruels, le procureur de la République de Charleville-Mézières Francis Nachbar, qui porte le dossier Fourniret depuis cinq ans, a tenu à s’expliquer, hier, à l’issue de l’audience, lors d’une conférence de presse. Du jamais vu (ou presque) dans un procès d’assises. L’avocat général a persisté et signé : «J’ai développé des réquisitions orales en conscience et avec conviction, j’ai dit ce que je pense.» Il a justifié «les deux ou trois gros mots» comme des «citations des accusés telles que "fêlés"» ou «des mots prononcés pendant les débats». Sur l’appartenance invoquée des Fourniret à l’espèce des monstres, l’avocat général a essayé de nuancer : «Si c’étaient des monstres au sens psychiatrique, ni vous ni moi ni personne ne serions là. Ne focalisons pas trop sur ce terme. Mais pour moi, ceux qui commettent ces actes monstrueux sont au sens commun des monstres.»

 

Au même instant, vers 15 heures, la cour partait délibérer. Le président Gilles Latapie, ses deux assesseurs et le jury populaire composé de cinq femmes et quatre hommes, dont le tiers d’agriculteurs des Ardennes, se sont retirés dans la caserne de CRS de Charleville-Mézières pour délibérer, y passer la nuit, et rendre leur verdict cet après-midi. Ils doivent répondre à 75 questions auxquelles le président a ajouté deux subsidiaires. La première sur l’implication de Monique Olivier dans le meurtre de Jeanne-Marie Desramault en 1989 : coauteur ou complice ? Quant à Michel Fourniret, il s’agit de savoir s’il est coupable du viol de Mananya Thumpong ou d’une tentative de pénétration.

 

«Ruines». Au cœur de sa parole en défense, Me Blocquaux a déploré «les occasions tragiquement manquées» par la justice «de stopper ce tandem» de criminels, les dossiers classés sans suite, les condamnations non exécutées, erreurs judiciaires, «dommages collatéraux» et victimes oubliées : «Ça pèse des tonnes sur ce champ de ruines qu’est la vie de M. Fourniret, ces décombres.» Il n’y a pas d’enjeu sur la peine : «Michel Fourniret sait qu’il terminera son existence en prison, et c’est normal.» Le bâtonnier annonce que Michel Fourniret «acceptera sa peine» maximale de réclusion à perpétuité incompressible : «Il n’a pas le choix me direz-vous. Mais le seul petit signe de sa part, c’est l’acceptation de sa peine. Il ne fera pas appel de la décision rendue. Qu’offrir d’autres aux familles des victimes que le silence ? Pas le froid silence du cimetière, pas le silence glacé de la mort de ces enfants, pas le silence impuissant de celui qui n’a plus rien à dire. Que ce soit le silence de la compassion et du recueillement nourri du souvenir et de la mémoire d’Isabelle Laville, de Fabienne Leroy, de Jeanne-Marie Desramault, d’Elisabeth Brichet, Natacha Danais, Céline Saison et Mananya Thumpong auxquelles j’ajoute Farida Hammiche et Marie-Hélène qui s’appelait Fourniret», sa fille qui a mis fin à ses jours en 2006, sa «dernière victime».

 

Et Me Blocquaux termine avec les Fleurs du mal de Baudelaire à l’adresse de l’accusé : «Sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille. Tu réclamais le soir. Il descend, le voici.»


Source : PATRICIA TOURANCHEAU pour Liberation.fr

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